Laurent Bessières est l’accordeur référent de la Philharmonie de Paris. Rencontre avec un artisan de la musique.
Être accordeur, ça n’est pas anodin, qu’est-ce qui vous a conduit à faire ce métier ?
J’ai commencé mon parcours en alternance à l’ITEMM, Institut Technologique des Métiers de la Musiques, et dans un atelier parisien au Centre Chopin. A l’institut, j’ai acquis de solides bases en accord et en réparations mais surtout j’ai appris à développer une oreille analytique. L’atelier dans lequel j’étais m’a offert la possibilité de faire une foultitude de petites réparations : changer des feutres, remplacer des cordes, refaire du placage, du vernis tampon, et aussi de la vente et autre conseils artistiques. Ce métier m’a très vite conquis pour sa complexité : être manuel, sensible et avoir un brin de psychologie. Je découvrais à quel point ce métier est un vaste univers. Là, j’étais devenu passionné. J’ai passé mon CAP facteur de piano puis j’ai intégré l’atelier Steinway & Sons chez Pianos Hanlet où j’ai suivi un autre cursus, très spécialisé. Encore un autre univers que celui des pianistes et des concertistes. Et après 18 ans de restauration, de préparation, d’harmonisation et d’accords notamment à la Salle Pleyel j’ai été nommé, dès l’ouverture en 2015, accordeur référent de la Philharmonie de Paris. Pour ainsi prendre soins des 9 pianos de concerts.
Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ?
Ce métier est fascinant parce que l’on apprend sans cesse. Tout est dans le détail, il faut s’approprier le geste, les techniques. Et puis on les transforme, on les fait évoluer. L’expérience fait qu’on ne se lasse jamais. L’accord est particulier selon chaque accordeur, comme une empreinte, chacun son tempérament, plus ou moins droit, plus ou moins vaporeux. Les réglages sont tout aussi malléables, ainsi on fabrique une couleur, un timbre. Et ces particularités se transmettent, d’accordeur à accordeur.
Pensez-vous que l’artisanat peut être une réponse pour notre société pour mieux apprécier la beauté et changer notre manière de consommer ?
Oui. L’art vient du cœur, il vient aussi du corps. Ceux qui aiment les artistes et l’artisanat et ceux qui créent se rejoignent dans l’admiration. Cela procure une sensation de bien-être. Quand on chausse un beau soulier, et qu’il est tout de suite confortable, ça tient de la magie. Il en va de même quand on s’assied à un piano et dont la sonorité vous saisit et vous inspire immédiatement. Éveiller ce merveilleux éblouissement chez tous est une réponse pour lutter contre notre société du virtuel. Je pense que c’est un bel outil.
C’est pour cette raison qu’avec l’artisanat on n’a jamais fini d’être émerveillé, si ce n’est pas une sensation, c’est un geste que l’on découvre.
Et pourquoi achetez-vous vos chaussures chez Manfield ?
Un jour, j’avais rendez-vous à l’Hôtel Georges V pour un accord. Mais la livraison du piano a été retardée. Comme j’avais un peu de temps devant moi, je me suis promené et j’ai découvert juste en face votre merveilleuse boutique avec de très belles chaussures. Je suis entré et j’y ai acheté mes premières paires de montantes. Je me sentais bien, élégant, un autre homme et j’étais fier de les avoir aux pieds.
Quelques années plus tard, j’y achetais une autre paire : des chaussures à boucles demi montantes, coutures norvégiennes, là encore, je suis sorti de la boutique avec les souliers aux pieds pour ma journée de travail. Elles étaient magnifiques mais j’ai eu mal toute la journée. C’est là que j’ai compris ce que ça voulait dire « faire une paire de chaussure ». C’est ça l’artisanat, on ne peut pas aller trop vite. Les choses sont vivantes et elles ont leur processus de transformation, on se doit de les comprendre et de s’y adapter. J’ai acheté ensuite une autre paire pour mon mariage et encore une autre tout récemment pour aller sur la scène de la Philharmonie.
J’aime Manfield parce que je sens qu’il y a un artiste qui a travaillé longtemps pour créer le soulier. Je devine que l’artisan a choisi le cuir qu’il convient, je sens le regard, je l’imagine observant le soulier sous différents angles pour mieux l’apprécier. Et quand je les chausse, je suis bien tout de suite, et j’ai envie de lui dire « merci ».
Fabriquer un soulier est un travail noble : l’artisan utilise du bois, de la colle naturelle, des ciseaux. C’est sa main qui fait ma chaussure. Et je sais que dans chaque geste - je le sais car c’est la même chose dans mon travail - il y a le dosage de l’effort. Et c’est pour cela que ce sont des métiers de transmission et de savoir-faire. L’artisan a voulu faire un bel objet. Il y a une recherche d’harmonie. C’est le mot qui fait la boucle. De même que l’accordeur travaille pour le pianiste, le bottier œuvre pour un pied particulier. L’harmonie c’est la proportion qui crée un système cohérent, confortable et flatteur. Et quand l’harmonie est là c’est magnifique.